Tariq Abdul-Wahad — Le pionnier français en NBA (Part 2)
Duxième partie de notre retour sur la carrière du désormais Tariq Abdul-Wahad. Drafté par les Kings et converti à l’islam, il tente désormais de se faire sa place en NBA et vit une relation compliquée avec l’équipe de France. Les ennuis
Tariq Abdul-Wahad : « Ma saison rookie est un échec. »
Franchise médiocre, les Kings sont arrivés à Sacramento en 1985 et n’ont, malgré 2 campagnes de playoffs, jamais connu une saison positive depuis. Les belles heures de l’organisation remontent aux années 50 et 60, avec un titre en 1951 (les Rochester Royals) puis la période Oscar Robertson, à Cincinnati. Tariq Abdul-Wahad est donc dans une équipe où la pression est réduite et avec un roster indigne de jouer les playoffs.
Malgré ce constat, il n’obtient que 16.3 minutes pour 6.4 points et 2 rebonds de moyenne durant sa première année. Il joue 59 matchs (16 titularisations) et devient le premier français à fouler les parquets NBA le 11 novembre 1997, au lendemain de sa conversion, lors d’une défaite face au Heat. Le 19 avril, il claque 31 points contre les Grizzlies pour établir son record définitif en carrière. De son propre aveu, son année rookie est un « échec ».
Tariq Abdul-Wahad : Je pensais vraiment faire quelque chose de spécial dès la première année. A l’arrivée, je considère ma saison rookie comme un échec. Il m’aurait fallu 20 à 25 minutes par match, j’ai eu dix minutes de moins.
À l’intersaison suivante, Rick Adelman est engagé et recrute du beau monde (Webber, Divac, Maxwell, Stojakovic, Pollard, J.Williams). Il retrouve aussi Steve Fisher, son ancien coach à Michigan. Durant l’été, il renoue avec les Bleus à un an du championnat d’Europe en France. La saison est tronquée par le lockout et Tariq Abdul-Wahad débute les 49 matchs auxquels il participe au poste 2 (9.3ppg-3.8rpg en 24.6min).
Tariq Abdul-Wahad découvre alors les playoffs dans une série face au Jazz qui prépare l’avenir de la franchise. Les Kings sont éliminés dans la prolongation du 5e match (3-2). Devenu un bon défenseur NBA, il est tout de même transféré au mois d’août au Magic contre Nick Anderson, un shooteur de meilleur calibre.
Tariq Abdul-Wahad : « Ce qui m’intéresse, que la France gagne »
Cet été-là, l’équipe de France joue l’EuroBasket à domicile. Tariq Abdul-Wahad fait partie du groupe avec les Rigaudeau, Sciarra, Digbeu, Risacher, Bilba, Julian, Weis. L’état d’esprit de TAW pose question. Le joueur NBA va-t-il chercher à tirer la couverture à lui ? Ce joueur poli aux USA peut-il s’imposer dans le contexte européen ? Le #11 de la draft 1997 affiche de bonnes intentions avant la compétition.
Tariq Abdul-Wahad : Je n’ai qu’un seul but avec la sélection nationale : gagner. Je veux être dans cette équipe. Je ne veux pas savoir combien de points je marque, combien de rebonds je prends. Ce qui m’intéresse, c’est que la France gagne. […] Je ne veux pas qu’il y ait une mauvaise interprétation de mon rôle dans cette équipe. Je ne viens pas pour prouver mon standing de joueur NBA mais pour prouver que je peux aider la France à gagner.
Tariq Abdul-Wahad score 24 et 19 points dans les deux premières victoires françaises contre la Macédoine et Israël. Face aux yougoslaves, champions du Monde en titre, les Bleus concèdent leur unique défaite avant les matchs couperets. Au deuxième tour, l’Espagne, la Russie et la Slovénie sont dominées. Les victoires engendrent l’intérêt du public. Mais l’affaire des chaussettes hautes fissurent le groupe entre ‘joueurs de playground’ (TAW, Digbeu, Sonko) et ‘produits traditionnels’ (Rigaudeau, Foirest, Sciarra). Alain Weisz, alors adjoint de Jean-Pierre de Vincenzi résume cela dans son livre Passion basket, mémoire d’un coach.
Alain Weisz : L’équipe se scinde et se singularise autour d’une histoire de chaussettes ! Sonko, Digbeu et Abdul-Wahad avaient souligné leurs différences en jouant avec des chaussettes blanches remontées jusqu’au genou. Cette forme de distinction avait été très mal perçue par le groupe. Que se cachait-il derrière cet artifice vestimentaire ? Une simple admiration pour Julius Erving ? A Bercy, Laurent Sciarra avait ajouté au ridicule en adoptant à son tour la même extravagance vestimentaire, pour stigmatiser l’attitude de ses partenaires !
En quarts de finale, Laurent Foirest offre le match d’un tir miraculeux à 3-points mais, en demi-finale, l’Espagne, pourtant dominée de 17 points un semaine plus tôt, s’impose dans le sillage d’Alberto Herreros (29pts) et accède à la finale. Tariq Abdul-Wahad, deuxième scoreur Bleu avec 11.1 points sur l’ensemble de la compétition, ne joue que 9 minutes en demi-finale et déclare forfait lors du match pour la troisième place. Une blessure au genou, qui a fait couler beaucoup d’encre sur sa gravité réelle ou supposée. Cette quatrième place assure tout de même un billet pour Sidney à l’EDF.
43M$ sur 7 ans
Cette expérience compliquée passée, Tariq Abdul-Wahad retrouve son quotidien NBA et découvre à Orlando une équipe en reconstruction après les départs de Penny Hardaway et Nick Anderson. Ses nouveaux partenaires se nomment Darrell Armstrong, Chris Gatling, Pat Garrity, Bo Outlaw ou Ben Wallace. Il se lie d’amitié avec John Amaechi et Monty Williams. L’ensemble est dirigé par Doc Rivers, qui parvient à mener ce groupe à un bilan équilibré (41-41).
Sa proximité avec Rivers est bénéfique : TAW signe un 18 points – 17 rebonds le 30 décembre contre les Nets; il score 23 points face aux Raptors le 12 janvier; il est 10 fois le top scoreur de son équipe. Mais l’idylle ne dure pas : le 1er février 2000, il est transféré avec Chris Gatling aux Nuggets contre Chauncey Billups, Ron Mercer et Johnny Taylor. Au Magic, il signait le temps de 46 matchs, tous débutés, ses meilleures moyennes en carrière (12.2ppg-5.2rpg-1.6apg-1.2spg en 26.2min). Aux Nuggets, il rentre dans le rang (8.9ppg-3.5rpg). Le vestiaire est moins sain et une blessure au poignet le contraint à 6 semaines d’absence.
Free agent, Tariq Abdul-Wahad prolonge tout de même aux Nuggets contre 43M$ sur 7 ans. Il devient le sportif français le mieux payé. Pourtant, il ne participe pas aux jeux olympiques 2000. La faute à une phrase prononcée dans VSD:
Tariq Abdul-Wahad : Dans un sondage récent, 61% des Français se disent racistes. L’équipe de France n’y échappe pas. Quand je croise le regard de certains dirigeants, je sens bien qu’ils nous considèrent comme de la racaille de banlieue.
Entre menace de plainte en diffamation de la FFBB, démenti appuyé de Jim Bilba, qui affirme n’avoir jamais eu ce ressenti en EDF, et grosse colère d’Antoine Rigaudeau, Jean-Pierre de Vincenzi n’a pas d’autre choix d’écarter TAW du groupe France. L’arrière des Nuggets envoie tout de même un mot d’encourragement à ses compatriotes mais ceux-ci ne veulent pas en entendre parle. Après la médaille d’argent de Sydney, l’affaire des primes non versées puis l’EuroBasket 2001 rappelleront que même sans Abdul-Wahad, l’atmosphère en équipe de France peut être détestable. Les forfaits pour « divergences d’opinion » (Bonato, Rigaudeau, Sciara) aussi.
À Denver, la situation n’est toutefois pas plus rose. Malgré son contrat en or, Dan Issell l’écarte du groupe au profit de Voshon Lenard ou James Posey. Pendant un an et demi dans le Colorado, il ne joue que 49 matchs et doit se faire opérer au genou. Le changement de coach ne modifie pas sa situation. Finalement, le 21 février 2002, il est envoyé aux Mavs avec Nick Van Exel, Avery Johnson et Raef LaFrentz contre Tim Hardaway, Juwan Howard et Donnell Harvey.
Alain Weisz : « Pas du tout difficile à gérer au quotidien »
Les Mavs sont en pleine progression grâce aux expériences du gourou Don Nelson. Mais Tariq Abdul-Wahad, toujours gêné par son genou, ne peut jouer que 18 matchs de saison régulière en une saison et demie, ainsi que 8 matchs de playoffs, en 2002-2003. Il retrouve au passage Antoine Rigaudeau, qui viendra passer quelques mois peu réussis dans le Texas. TAW fait aussi partie des très mauvais souvenirs de Mark Cuban, qui revenait brièvement sur son ancien arrière dans un entretien à BasketNews.
Mark Cuban : Tariq ?! Mon dieu, il me doit de l’argent. Il me doit beaucoup d’argent.
BasketNews : Un mauvais souvenir ?
Mark Cuban : Pire encore que ça.
Seule éclaircie de cette période, en 2002, San Jose State retire son numéro 3. Sept anciens Spartans ont réussi à intégrer la NBA. Mais seulement trois, dont Tariq Abdul-Wahad, y ont joué plus de 200 matchs.
En 2003, Alain Weisz, devenu sélectionneur, veut mobiliser toutes les forces vives de la nation pour l’EuroBasket en Suède. Les américains Tony Parker, Jérôme Moïso, Tariq Abdul-Wahad ou Ronny Turiaf (alors à Gonzaga) sont convoqués. Au premier tour, TAW se blesse à l’épaule contre la Slovénie, ce qui le contraint à jouer sous infiltration en quart de finale contre la Russie. Au bout de 2 minutes, il quitte le parquet.
En demi-finale, Tariq Abdul-Wahad (16pts-8rbs) répond présent mais les Bleus sont battus par la Lituanie malgré 5 points d’avance à 3 minutes de la fin. Le match pour la 3e place est une désillusion : défaite contre l’Italie pourtant écrasée (+33) au premier tour, 0/5 au tir pour TAW, et absence aux jeux olympiques 2004. Alain Weisz, dans son livre, précise que « parmi les joueurs, aucun n’a émis la moindre réserve sur son retour, bien au contraire » et parle de sa relation, loin des clichés, avec le joueur NBA.
Alain Weisz : Contrairement à ce que ses détracteurs ont tenté de faire croire, il n’était pas du tout difficile à gérer au quotidien. En revanche, c’est quelqu’un de très dur, envers lui-même et envers les autres. Il n’accorde pas sa confiance facilement et il se voit des ennemis partout. C’est un écorché vif qui peut faire des dégâts car il va jusqu’au bout des choses.
Après cette compétition, Tariq Abdul-Wahad annonce sa retraite internationale dans Mondial Basket. L’occasion pour le joueur de donner son ressenti sur la compétition suédoise.
Tariq Abdul-Wahad : Pour moi, c’est terminé. On avait sans doute l’équipe avec le plus gros potentiel. C’est même évident. Mais on était aussi l’équipe avec le moins de fond de jeu, sûrement. Cette équipe n’avait pas de vécu.
Tariq Abdul-Wahad : « Un sportif qui a des convictions… »
Plus surprenant, cette compétition était la dernière occasion de voir Tariq Abdul-Wahad en action. Les Mavs n’en veulent plus et l’éloignent des entraînements durant plus d’un an. Début 2005, il a finalement le droit de reprendre les séances avec ses partenaires mais il ne revoit pas les parquets pour autant. Sur son site officiel, Tariq Abdul-Wahad donne alors sa vérité.
Tariq Abdul-Wahad : À sauter des étapes, on s’écrase parfois dans le caniveau de ses errances. Tout d’abord, en pensant que les assurances allaient prendre en charge le salaire de quelqu’un de valide sous un faux prétexte. Ensuite, en montant une série de cabales et d’insinuations sur mon intégrité physique, vite réduites au néant par une batterie d’examens au résultat sans appel. Et pour clore le tout, en exerçant une pression psychologique lamentable sur mes conseils et sur ma personne. On parle souvent de Dallas comme d’un univers impitoyable mais on ignore le décor pitoyable de ce feuilleton que je viens de vivre.
Le 28 septembre 2005, à 31 ans, Tariq Abdul-Wahad est finalement viré par les Mavs. Il ne retrouve plus de contrat, ni en NBA, ni en Europe, où il effectue un court passage à Bologne en 2006, écourté par le club italien estimant le joueur hors de forme. Il est, depuis, particulièrement discret. En 2008, il obtient son diplôme en histoire de l’art et donne un coup de main auprès de l’équipe féminine de San Jose State.
En mai 2013, Tariq Abdul-Wahad sort de son silence dans une interview pour l’Équipe Magazine. Il fait notamment une déclaration qui résume parfaitement son image car elle peut provoquer l’incompréhension.
Tariq Abdul-Wahad : Ce n’est pas une règle. Mais, à contrario, un champion ne peut se considérer comme détaché du monde qui l’entoure. Compte tenu de sa notoriété, il est plus responsable que ne peut l’être un simple citoyen. Un sportif qui a des convictions entre dans l’arène qui va avec. Tommie Smith a toujours été clair là-dessus. Avec John Carlos, il s’est mis tout le monde à dos, jusqu’à être tenu pour un traître de la nation ! Avec un exemple pareil en tête, tu te persuades que le jour où tu auras quelque chose à dire et que tu seras sur un podium, tu le feras. Zinedine Zidane représente beaucoup, y compris pour mon fils, mais sincèrement, je ne l’ai jamais vu se mouiller vraiment…
Pour vous remettre dans l’ambiance de l’époque, un reportage avait été consacré au joueur en 1997 sur le service public:
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