David Stern : un patron volontariste (Part 1)
C’est le samedi 1er février 2014 que David Stern a tiré sa révérence, fêtant ainsi tout pile ses 30 années passées à la tête de la NBA. Il a vu les Lakers gagner 8 titres, il était là lors de l’épopée Jordan, et il reste l’un des personnages les plus controversés de l’histoire de la ligue, haï en général par les fans, ou adoré par des GM/propriétaires. Revenons sur son parcours.
Une marque de fabrique
David Stern est né en 1942 à New York, il ira faire ses études de droits à Columbia et sera membre du barreau en 1966. Plutôt que d’intégrer le sérail des avocats, il décide de devenir conseiller externe pour l’Association. En 1978, il devient Conseiller général sous la coupe de Larry O’Brien, en 1980 Vice-Président exécutif de la NBA avec notamment la mise en place des tests anti-drogues et du Salary cap dans l’esprit (nous y reviendrons). C’est finalement le 1er février 1984 qu’il devient Commissionner, au moment où Hakeem Olajuwon, Michael Jordan, Charles Barkley et John Stockton faisaient leur entrée dans la grande ligue.
Le premier grand challenge concerne ce qu’on appellera plus tard « l’ère de la cocaïne ». Les années 70’s ne se sont pas bien terminées en terme d’image pour la ligue de basket. Les scouts et GM se tournent vers la rue pour trouver le nouveau Bill Russell (retraite en 1969) et les joueurs recherchent à tout prix une gloire, même éphémère, pour profiter du marketing et de ses revenus. Au final, trop de déviances, trop d’abus, les matchs ne sont même plus télévisés – les Finals 1978 et 1979 sont diffusées en différé. D’où la mise en place d’un testing anti-drogue afin de redorer le blason de la ligue et d’imposer une sorte d’éthique sportive.
Ce phénomène est vite balayé par le duel Larry Bird – Magic Johnson qui redonne goût aux spectateurs. David Stern arrive et se voit confier l’organisation d’un Lakers-Celtics bienheureux, en Finals. C’est aussi le moment choisi par le Commish pour faire une petite révolution avec l’imposition d’un salary cap de 3.6M$, il n’avait pas la complexité qu’il connaît à l’heure actuelle en termes d’exceptions et de trades.
Autre révolution, afin de combattre le « tanking » (tiens tiens) de certaines équipes voulant drafter Pat Ewing, Stern décide d’imposer un principe de lottery, donnant aux 7 pires équipes une chance d’avoir le n°1 de la draft. Stern ne se gêne pas pour faire passer la lottery (puis la draft) d’un évènement entre franchises et jeunes joueurs à une cérémonie très attendue et très protocolaire:
A l’époque, les rumeurs de collusion courent sur Stern, le New-Yorkais, qui permet, comme par hasard, aux Knicks, d’avoir le 1er pick. Sa réaction?
Si les gens veulent penser que la lottery est truquée, ça les regarde, tant qu’ils connaissent le nom des équipes, ce qui veut dire qu’ils s’intéressent à nous. C’est parfait.
Car David Stern c’est un tempérament presque dictatorial pour certains, d’autres diront pragmatique, autocrate. Il a toujours su profiter des situations ambigües avec un large sourire car il avait bien compris avant tout le monde que la publicité, en mal ou en bien, reste de la publicité. Il se taille une réputation d’homme intraitable et sévère à partir de 1986, avec le scandale Michael Ray Richardson, ce joueur banni à vie de la NBA.
Le problème de drogue n’était pas totalement éradiqué, tout comme l’alcoolisme de l’époque et Stern décide de frapper un grand coup, de faire un exemple quand Richardson, All-Star, échoue pour la 3ème fois à un test anti-drogue. Les médias tombent sur l’Association qui ne réussit pas à endiguer ce fléau et donne une image pervertie à la jeunesse, qu’à cela ne tienne, la sanction sera exemplaire. Ces soucis ne déserteront pas les parquets, néanmoins, on se souvient de la mort de Len Bias (overdose) ou encore de la suspension de 2 ans de Chris Andersen en 2000, à mesure que la politique anti-drogue s’intensifie (Majiuana).
La visibilité par l’expansion
Toujours dominée par les deux autres sports majeurs US (Baseball et Football), la NBA débute une longue série d’expansion dès 1987. Le trio Magic-Bird-Jordan est d’une aide sans précédent pour populariser le sport auprès des jeunes et des médias, il faut donc commencer par augmenter les marchés de consommateur pour augmenter les revenus et entrer dans un cercle économique vertueux. C’est l’apparition de trois franchises dans le Sud-Est des États-Unis avec le Miami Heat, les Charlotte Hornets et Orlando Magic; dans le Minnesota, on créé les Timberwolves, ville qui avait accueilli les Minneapolis Lakers naguère. La ligue compte 27 équipes à ce moment-là.
David Stern va définitivement rentrer dans l’Histoire à travers trois évènements bien distincts. Le premier – et peut-être plus important – est la mise en avant de la NBA par des contrats télévisuels avec notamment TNT, pour miser sur les réseaux câblés afin de faire entrer le basket dans tous les foyers américains. Plusieurs matchs sont diffusés par semaines et ce deal existe toujours aujourd’hui, TNT possède par exemple les droits pour le All-Star weekend mais doit partager les playoffs avec ESPN et ABC.
Le second n’est autre qu’un « scandale » médiatique, qui a mis en porte-à-faux de nombreux joueurs et managers en 1991: l’annonce de la séropositivité de Magic Johnson. Moment très spécial où se conjuguent débat public, tirades politiques, prévention face à un virus inconnu et besoin de clarification aux yeux du grand public. Lorsque Magic annonce qu’il a contracté le VIH, et sa retraite, David Stern le soutient avec tout l’appui possible. C’est Stern, par exemple, qui permettra à Magic de jouer le All-Star Game 1992 car les fans l’y ont nommé starter, il y sera consacré MVP. Ce type de décision en pleine tourmente médiatique et après plusieurs citations controversées même de grands joueurs (Malone), impose le respect. Le mythe du « dictateur éclairé » prend tout son sens dans ce fait sociétal.
En 1992, l’internationalisation de la NBA prend son envol à travers la Dream Team! Pour le coup, l’opinion dominante aux États-Unis ne veut pas envoyer ses stars jouer les Jeux Olympiques, plusieurs journaux font d’ailleurs des pages entières contre une telle décision, même Stern y est en principe opposé :
Vous pensez que nous voulons nous remettre de notre défaite en 1988 [médaille de bronze]? C’est complètement faux. De notre point de vu, nous étions forcés de jouer les J.O. Nous n’avons pas vu le phénomène arriver. Nous avons dit à la FIBA que nous n’étions pas content de jouer les J.O mais que nous serions de bons soldats, afin de promouvoir notre sport commun. Donc il y a eu un vote, nous étions contre, les Russes également mais le reste des pays étaient unanimes.
La pression des pays et fans internationaux dans un contexte de globalisation (chute du mur de Berlin en 1989) oblige la NBA à pourvoir ce créneau. Le carcan USA Basketball ne veut pas y aller, Stern va négocier pour constituer la meilleure équipe encore jamais vu de talent de basket sur un même terrain. La suite vous la connaissez, vous l’avez même peut-être vécu! La Dream Team est encore, 20 ans après son sacre, dans le cœur de tous les fans de la NBA et du basket en général.
Conquête du marché et relocalisations diverses
A l’instar de la NHL et la MLB, la NBA décide en 1995 sous la décision de Stern d’étendre sa mainmise au niveau international avec la création de deux franchises : les Grizzlies de Vancouver et les Toronto Raptors. La ligue compte alors 29 équipes. Mais si Stern a vu la création de 7 équipes depuis sa prise de pouvoir, il ne faut pas oublier une autre modalité de captation de marché: la relocalisation/délocalisation de franchises entre les villes, il y en a eu pas moins de 6 sous son règne (Clippers, Kings, Grizzlies, Nets, Hornets et Sonics).
Les cas des Hornets (2002) et Sonics (2008) ont fait grand bruit. Il faut bien comprendre une chose: lorsqu’une telle décision est prise, ce n’est pas sur le pouce mais après de nombreuses batailles entre propriétaires de franchises et administrations locales; et le nœud du problème reste les rentrées financières pour les équipes, qui dépendent en partie du soutien des exécutifs locaux via par exemple, la mise en place d’une nouvelle enceinte, des projets pharamineux qui pèsent plusieurs centaines de millions de dollars.
En 2002, le propriétaire des Hornets, George Shinn, accusé d’agression sexuel fin 90’s, n’a de cesse de vouloir redorer son image auprès du public local. Il demande donc un nouveau stade pour jouer. Après un référendum négatif sur un financement public de cette hypothétique enceinte, la ville parvient à un compromis qui ne repose pas uniquement sur les taxes mais à une condition: Shinn ne peut plus être le propriétaire de la franchise. Shinn choisit de rester, Stern appuie ce choix et l’équipe partira sous de « meilleurs cieux », à la Nouvelle Orléans. Charlotte? Une ville qui accueillera plus tard les Bobcats…
A Seattle, la crise fût encore plus palpable. Les Seattle SuperSonics ont réussi à imprimer le duo Payton/Kemp dans l’esprit de tous les fans et Stern ne s’est fait aucun ami à Seattle. Le PDG de Starbucks, Howard Schultz, n’arrive pas à trouver un arrangement pour la construction d’une nouvelle salle et, au lieu de trouver un repreneur local, il vend sa franchise à un consortium d’entrepreneurs de l’Oklahoma qui vont naturellement déplacer l’équipe. Stern n’intervient pas, il sait que la franchise va bouger, les politiciens n’aident pas non plus et Bennett s’en va avec son acquisition. C’est ce qu’on appellera le SonicsGate :
Le paroxysme est atteint en décembre 2010 lorsque David Stern choisit de manière discrétionnaire de prendre le pouvoir sur les Hornets. George Shinn termine sa carrière de propriétaire en tentant de vendre l’équipe au plus offrant. Mais il n’y a aucun repreneur local, Shinn se prépare à vendre l’équipe à un outsider, Larry Ellison, un homme de San José (donc une probable délocalisation); Stern décide d’intervenir et demande aux 29 autres propriétaires d’acheter collectivement les Hornets et de les posséder le temps de trouver un repreneur local. Ce leadership, Stern a su l’imposer et Shinn reçoit 300M$ en guise d’adieu.
Ce graphique (Source: SBnation) en dit long sur la franchise:
C’est à partir de cet achat que les choses deviennent compliquées et peut-être pas éthiquement responsables : l’organisation des Hornets, qui reste sans Shinn, décide de trader Chris Paul avant qu’il ne s’en aille par la free agency. Un deal Hornets-Lakers est trouvé, envoyant le meilleur meneur de la NBA dans la Cité des anges. Néanmoins, Stern intervient et rejette le deal! Certains avancent que cette interjection provient d’un lobby des autres propriétaires qui ne voulaient pas enrichir les Lakers. Stern avance des raisons « sportives ». Quand l’autorité de régulation commence à posséder elle-même des acteurs du marché, l’immixtion termine toujours en eau de boudin.
Enfin, terminons sur une note plus positive. Le Commish a permis d’une part de mettre en place le 24 avril 1996 la WNBA avec ses 8 franchises. Il a fallu de la volonté, du temps et de l’argent mais à travers les années, plusieurs marchés solides sont apparus (Connecticut, Minnesota, L.A…) et la ligue des femmes pro’ NBA reste stable avec ses 12 équipes. Il n’existe pas d’autre ligue pour femmes pro’ de cet envergure aux États-Unis et personne n’a remis en cause son existence ou même son financement depuis, une véritable victoire pour Stern. Dans un esprit de sécurisation des postes – et de management des équipes – Stern décide la création de la ligue de développement en 2001 (NBDL) qui compte 8 équipes et plus d’une centaine de joueurs. Les franchises NBA ont petit à petit pris le pas en possédant ces équipes pour y faire grandir leurs jeunes joueurs qui n’ont pas assez de temps de jeu en professionnel. Aujourd’hui, il y a 17 équipes, passant de Boise à Santa Cruz jusqu’au Delaware.
1 commentaire
Pas franchement fan du bonhomme mais il faut avouer que si la NBA en est là aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui.